Toutes les photos qui composent cet ensemble ont été prises avec mon téléphone portable Nokia, et, pour la plupart, en conduisant ma Nissan Micra. Pendant longtemps, j’ai été fasciné par un tableau de Nicolas Poussin représentant le géant aveugle Orion, avec un petit personnage juché sur son épaule, lequel est censé l’aider dans sa course vers le soleil avant que ce dernier ne se couche à l’horizon. Cette mélancolie d’une lumière et d’un présent qui s’évanouissent, les impressionnistes furent les premiers à l’éprouver – alors même que se développaient, avec la photographie puis le cinéma, de prodigieux outils de capture et de rétention de ce présent en fuite. L’infinie variabilité des états du ciel, de la lumière, des saisons, leur fut un motif constant de recherche douloureuse sur le temps, au deux sens entrelacés de time et de weather. Ces photomobiles, qui sont à peine des photos, ou des photos comme volées à travers un téléphone, semblent destinées à répondre de la fuite du temps et de cet empire de l’éphémère qui en est comme l’ombre portée aujourd’hui, par le mouvement symétrique d’une prise effectuée sans aucun souci de pause, ou de construction organisée de l’image. Une prise en mouvement, comme l’objet même qu’elle tente de saisir. Il s’agit dès lors de se laisser (sur)prendre, à travers le mouvement et la vitesse asynchrones de ces divers mobiles, de laisser ce temps qui nous échappe s’ouvrir sur lui-même dans le prisme de ces appareils. Comme si la fameuse convergence des médias, et la puissance de synchronisation mondiale des images et des opinions qui la soutient (et qui conduit à un écrasement du temps sous les formes du direct, du live, du temps réel), produisait en retour, en une sorte d’effet boomerang qui est aussi un contrepoison, une formidable puissance de divergence artistique et esthétique, d’ouverture de l’œuvre d’art vers des régimes spatiotemporels infiniment divers. Ainsi, là où l’on peut constater avec les progrès constants du numérique, le devenir pictural d’une certaine photographie dans l’art contemporain, comme fascinée par l’immobilisme de la grande peinture d’Histoire, le téléphone portable serait comme un appareil de photo incertain, qui, outre qu’il contribue à une étrange redéfinition des rapports entre image et société, ouvrirait vers de nouveaux horizons et nous renverrait paradoxalement à ce tremblement du temps caractéristique de la photo des origines